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Les calvaires de MICHELBACH-le-BAS (*)

Ce patrimoine religieux fait partie intégrante de notre culture, même pour ceux qui ne sont pas branchés religion. Les calvaires sont des expressions de la foi vivante de nos anciens qui voyaient en eux un relais avec l’action divine, une main tendue entre deux mondes, le temporel et l’intemporel.

Le symbole de l’harmonie entre ciel et terre

Il existe des calvaires avec et sans Christ et des calvaires avec Christ et personnage(s) biblique(s). À noter que, usuellement les croix et calvaires ont la même signification, tandis que le mot crucifix est employé couramment pour désigner une croix dans une habitation, une église ou un autre édifice. Symbolisant l’universalité, comme une harmonie entre ciel et terre, toute croix renvoie le peuple chrétien au résumé de la foi chrétienne. Dans son amour, Dieu le Père a envoyé son Fils Jésus pour accorder la lumière à tous les hommes. Par sa vie, son enseignement, sa mort sur la croix et sa résurrection au matin de Pâques, Jésus-Christ a sauvé les hommes. La Croix, instrument de sa mise à mort est vue par le chrétien comme l’instrument du salut accordé à l’humanité par la miséricorde de Dieu.

Un usage très ancien

L’usage d’ériger des croix au bord d’une rue, d’une place, d’un chemin, à un carrefour, en plein-champs, au bord de la mer ou en montagne, etc. est très ancien. Ces croix sont souvent destinées à christianiser un lieu. Elles rappellent aussi des événements de paroisses (Missions) et de familles (accident et décès…).

Tout semble indiquer que les croix se dressent de plus en plus nombreuses à la fin du Moyen Âge, du XIIIe au XVe siècle. Concernant notre village de Michelbach-le-Bas, sur un plan établi en 1760 aucune croix n’est mentionnée. On peut donc supposer que les croix les plus anciennes pourraient dater
de la fin du XVIIIe et surtout du XIXe siècle.

Huit calvaires à Michelbach-le-Bas

À Michelbach-le-Bas, plusieurs calvaires ont disparu du paysage, notamment des croix en pierre calcaire sculptée ou en bois. Les aînés se souviennent encore de quelques emplacements : rue du Moulin, Zentelweg (rue de la Dîme)… Ce sont les décennies et les intempéries qui ont gravement entamé ce patrimoine. L’Histoire nous indique également que la révolution anticléricale au XIXe siècle en a détruit beaucoup. Il semble fort heureusement que ceci n’a pas eu d’effet dans notre village qui comptait environ 350 âmes à cette époque.

En 2018, il existe 8 calvaires à Michelbach-le-Bas. À défaut d’éléments transmis ou de traces écrites par les témoins historiques de ces implantations, il n’est plus possible d’en retracer l’histoire. Là encore le passé a fait son oeuvre et a tout effacé sauf pour les calvaires présentés ci-dessous.

La croix située au cimetière

La croix située au cimetière est la plus récente édification d’origine. L’inscription sur la plaque en allemand en témoigne : « ERINNERUNG an der hl. Mission 1910 ». Une telle Mission obligeait les paroissiens à se confesser et à assister pendant 10 jours quotidiennement à la messe et avec un long sermon. Au cours de ces messes intervenaient des prédicateurs qui, à la demande de l’Église notamment du Curé Justin ZIEGLER, exhortaient les fidèles à une plus grande foi, d’où cette dénomination de Croix de Missions « Missionskreuz ». Lors des dernières années avant d’entrer en procession à l’église, les enfants de la 1ère c communion, ainsi que les jeunes de la Profession de Foi se réunissaient autour de cette croix. De même à l’issue d’obsèques, les dernières prières étaient faites devant cette croix.

La croix du Schwarzweg

La croix du Schwarzweg est située à proximité du relais antenne Orange et à quelques mètres de la limite du ban avec Ranspach-le-Bas. Elle date du début du XXe siècle, vers 1905. Le passant est interpellé par « MEIN JESUS BARMHERZIKEIT » …Mon Jésus miséricorde… gravé sur la plaque. Cette croix est édifiée à la mémoire de François Joseph Schürrer.

Âge de 65 ans, il s’est grièvement blessé en ce lieu tombant d’une échelle en allant cueillir des cerises. Il est décédé suite à ses blessures le 20 juillet 1902. Ce cultivateur était maire de Ranspach-le-Bas de 1881 à 1896. Vers 1885, une nouvelle église est en construction pour remplacer le lieu de culte datant de 1680, cependant son financement pose problème. Le clergé et le conseil de fabrique sollicitent la commune. Mais le conseil municipal décide prioritairement d’amener l’eau au village. La commune répond à un besoin vital puisque seules quelques familles possédaient des puits ou fontaines… mais pour cet homme de foi, il était important de trouver les moyens pour l’achèvement et à l’embellissement de leur église.

La croix en grès à la sortie du village

La croix en grès à la sortie du village vers Ranspach-le-Bas, à sa base, une des deux bornes porte la date de 1873. Cette date pourrait être le début de son histoire, un siècle et demi après, il n’en reste aucune autre trace. Mais, étant donné que la date n’est pas gravée sur la croix, on peut supposer un remplacement d’une croix en bois, ceci était fréquent lorsque les moyens étaient réunis.

La croix du Roggenberg

La croix du Roggenberg située chemin de Brinckheim en pleine forêt, est un ex-voto, un signe de reconnaissance de Bartholome SCHWEITZER (1803-1873), natif d’Helfranzkirch s’établissant au village (rue de la Halle) lors de son mariage en 1834 avec Marie-Ursule SALADE de Michelbach-le-Bas. Son histoire pourrait ressembler à ce récit :

Vers 1850, Bartholome rentre par la forêt d’une livraison de son village natal sur un chariot tiré par deux chevaux. A la tombée de la nuit, il est surpris par un violent orage. En plus d’être trempé, il s’alarme des coups de foudre. Lorsque un éclair tombe violemment à une centaine de mètres de lui, Bartholome n’arrive pas à maîtriser les chevaux qui, effrayés, se sauvent. Avec son attelage, il n’a plus aucun repère, comme si autour de lui un rideau venait de tomber sur une scène sur laquelle tout s’anime : les arbres s’étirent et changent de forme, des animaux sortent de leur cachette. Un chevreuil ose une échappée par une clairière. Au loin il entend des sangliers labourant la terre à la recherche de nourriture, le hululement des hiboux et les oiseaux nocturnes chassant cette nuit.

Bref, une étrange atmosphère d’hostilité. Bartholome ne reconnait plus rien, ni les distances, ni les reliefs…tout est noir, tout a changé. Dans l’atrocité de cette nuit, le moindre bruit prend une ampleur disproportionnée, ce ne sont que froissements, craquements, souffles, frémissements et cris. Exaspéré, Bartholome est perdu avec son attelage au milieu de nulle part, il se sent vulnérable. Soudain, alors qu’il était sans doute en train de se confier à Dieu, et n’en croyant pas ses yeux, Bartholome voit apparaître de la voûte céleste en une fraction de seconde un impressionnant faisceau lumineux qui éclaire toute la contrée. Reconnaissant l’endroit, son cœur bascule d’une immense détresse à une profonde joie. Considérant ce phénomène comme une grâce divine, il mettra à exécution le vœu qu’il formule à cet instant : il édifiera un calvaire en ce lieu…

Aujourd’hui, après la traversée des paysages merveilleux, les promeneurs entrent dans cette forêt et sont accueillis par le chant des oiseaux. Sur la butte et à l’intersection de chemins, leurs regards sont toujours tournés vers cette croix…

Avant l’aménagement de la déchetterie, cette ancienne croix à l’intersection du chemin de Brinckheim et du Grundweg était la croix du cimetière jusqu’en 1910. Elle aurait remplacé une vieille croix qui a été érigée en mémoire de deux chasseurs mortellement blessés en ce lieu. Ceci suite à des événements tragiques qu’on imagine s’être déroulés de la manière suivante :

En se rendant à une battue, cinq chasseurs veulent emboîter le pas vers le lieu-dit « Grundweg ». Le sol étant trempé par la pluie qui tomba toute la nuit, un chasseur glisse à terre, dans sa chute une charge de plomb se déclenche tuant un de ses collègues. En tombant, une rafale de plomb est partie de ce dernier atteignant à mort celui qui est encore à terre. Les trois chasseurs ébranlés par cette scène, un invraisemblable concours de circonstances, ne purent qu’en témoigner à la maréchaussée. Les recherches dans les registres d’État Civil n’ayant rien relevé, on peut supposer que cela est arrivé avant la notification obligatoire en 1792.

Un calvaire pour une dévotion, une intention ou un souvenir

Ces quelques histoires autour de nos calvaires nous apprennent que dans ces temps-là chaque édification avait ses raisons d’être. Chacune de ces croix à son origine faisait l’objet d’une dévotion, d’une intention ou d’un souvenir… Certaines étant installées aux différentes entrées du village répondant sans doute au souci de s’adresser aux passants « Que Dieu protège ton entrée et ta sortie » pour les personnes se rendant dans notre village cela aurait pu se traduire ainsi : « Bìtratsch in Niedermichelbach, sell Gott dì b’schìtza un gosch furt sell ar dì o begleita ».

Mais, comme le suggère aussi la mémoire collective, on peut rajouter la commémoration d’un événement douloureux important, le plus souvent tragique, qui donnait lieu à l’érection d’une croix. De nos jours, on peut établir un parallèle avec les bouquets de fleurs et les petites croix qui jalonnent nos routes. Dans la plupart des cas, ils correspondent à des accidents mortels de jeunes conducteurs.

Processions et jour des Rogations

Jusqu’au Concile Vatican II, les croix de chemins servaient aussi aux processions et aux Rogations, précédant le Jeudi de l’Ascension, fêtes aujourd’hui bien oubliées mais essentielles en milieu rural. Servants de messe avec croix et bannières, enfants et curé en tête entourés de quelques chantres intercédant par la Litanie de tous les saints, la procession des paroissiens traversait le terroir de part en part, s’arrêtant aux croix pour bénir les cultures.

Chaque jour de Rogations était consacré, en principe, à la bénédiction d’un type particulier de culture : prés, champs, vignes ou autre culture secondaire. Le but était évidemment de garantir, par des prières adéquates, une bonne récolte et ainsi la prospérité de la communauté villageoise en protégeant ses diverses productions contre toutes fatalités.

Trois calvaires reconstruits à l’identique

Avec l’agrandissement du village et l’urbanisation, trois de ces calvaires auraient dû être déplacés. Trop fragilisés ou dégradés par le poids des années, la commune a pris la décision de remettre de nouveaux calvaires conçus à l’identique et installés à proximité de l’emplacement initial.

Ainsi en 2003, la croix à l’intersection de la rue du Jura (Baselbodenweg) et de la rue des Lilas a été installée. C’est l’unique croix qui présente un Christ taillé dans la masse. Cette belle réalisation s’intègre parfaitement dans cet écrin de verdure. Pour rappel, la précédente était implantée à quelques pas au virage en amont. Jadis avec un petit chariot « leitermarktwagalé » ou en portant des paniers, on marchait par ce chemin pour se rendre à Bâle pour vendre des produits de la ferme d’où ces dénominations : Baselbodenweg… Baselboden. Animé par la foi, on se recueillait un petit instant devant cette croix.

Après l’aménagement du site de la déchetterie, une nouvelle croix est érigée en 2004. L’ancienne en bois entourée de 3 sapins, était initialement située à quelques mètres à l’angle des chemins de Brinckheim et du Grundweg tel un signal pour rappeler ce fait divers tragique.

La troisième, une des plus visibles pour les passants est celle remise en 2005 près de l’ancien pont SNCF, rue de la Dîme. Elle a remplacé celle qui avait subi des dégâts après un sinistre de la circulation, qui fût mise en place à proximité dans les années 1980 après le nivellement de l’ancien talus du chemin de fer. Cette croix a été bénie par le Père Roger Schnabel.

Son premier emplacement était situé à proximité dans le talus du chemin de fer à l’entrée du Zentelweg. Or, il est fort probable qu’elle avait été déplacée après la création de la ligne Saint-Louis – Waldighoffen au début du XXe siècle…

Rénovation du patrimoine

Au début des années 2000, c’est une opération inédite de remplacement par la municipalité. Ces belles œuvres ont été réalisées par l’entreprise Zanchetta, marbrier et granitier, basée à Village-Neuf. Ces tailleurs de pierres, sculpteurs passionnés et reconnus, ont remis à neuf près de la moitié de ce patrimoine. Notamment, faut-il le rappeler, dans les moindres détails pour cette très belle croix de la rue du Jura.

Après sa chute, la croix en bois du Helgensbergweg, à mi-chemin vers la D419 a été replacée en 2017 par les agents de la commune. À cette occasion un banc fut installé à proximité rendant ce lieu accueillant à l’ombre de quelques arbres. C’est comme une invitation à une halte, à une méditation, à une Rencontre… Sur les hauteurs culminantes du ban et au fil des saisons, c’est une fenêtre ouverte offrant une splendide vue jusqu’à la Forêt-Noire.

L’entretien des calvaires par la communauté villageoise

Faut-il le préciser, depuis la loi de 1905, les biens religieux étant devenus publics, les communes en sont aussi propriétaires et sont chargées de l’entretien des calvaires. C’est aussi une coutume dans les familles de s’en charger lorsque son emplacement est attenant à la propriété ou pour des raisons spécifiques. À Michelbach-le-Bas, la communauté villageoise veille particulièrement à toutes ces édifications. Elles sont en harmonie avec les belles couleurs des massifs ou jardinières qui les ornent notamment par la commune et des plantations de particuliers.

Élément patrimonial, discret et souvent anonyme, mais omniprésent dans nos paysages et partout, sur tous les chemins du monde, imprégnés de foi chrétienne… Pour tout chrétien, le Christ exerçant depuis la Croix ce qui vaut à l’homme le salut, la vie éternelle… En Alsace, il en est au moins une croix ou souvent plusieurs sur le ban de chacun de nos villages et de nos villes. Certaines histoires ou légendes y sont attachées. Souvent fleuri par des anonymes, ce patrimoine est généralement bien entretenu pour le sauvegarder en héritage pour les générations futures.

À noter que la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) en a recensé et identifié plus de 5000 dans notre belle Alsace qui compte 904 communes. Les deux Conseils Généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont participé financièrement à la restauration de celles qui ont été détruites par la tempête Lothar du 26 décembre 1999. Ceci prouve, si nécessaire, qu’elles sont véritablement reconnues comme élément de notre patrimoine.

Dressées à travers le monde ou celles enracinées dans notre terroir, actes de foi et témoins de l’Histoire de notre village, toutes ces croix de tous les tons et dans tous les styles, ne sont-elles pas des documents éloquents ? Jadis le passant se signait devant une croix ! Aujourd’hui sur nos chemins de vie, ces croix ne continuent-elles pas à nous parler d’une manière constante et de la façon la plus variée…?

Un immense merci à toutes les personnes pour la richesse de leurs indications, notamment : Thomas BLANCK, Paul GOEPFERT, Marthe GOETZ, Aimé  SCHMITT, André STAMPFLER, Erwin SCHWEITZER, Gérard WICKY et les Ets ZANCHETTA , merci à toutes les autres personnes consultées… Grand merci également à notre fille Caroline, à Jean-Paul ALAIN ainsi qu’au Père Lucien HEITZ pour la relecture.

(*) Sources: recherches, témoignages, souvenirs…

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Septembre 2018 : J-Marie KELBERT